Les origines de la Brute
Sous titre : grand jeu concours, trouver le bon et le briguand
Ma mère vient d'une grande famille d'aristocrates au sang bleu. L'impétuosité étant réputée génétique chez nous, la plupart des gens ont décidé de croire sur parole mes aïeux quant à la couleur de leur sang. Je gage que vous en ferez autant.
Par tradition dans cette famille, et pour se distinguer du commun, on affublait les enfants de noms interminables. Ma mère répond par conséquent au chantant patronyme de Jennalazirlocanamanda Delabelacortinovladore. Quant au surnom que lui ont donné ses proches, il fait le double de syllables. Sachant que la plupart des gens ne savent goûter toute la saveur de ce genre de coutumes, je la surnommerai Jenna dans la suite de mon récit.
Ma famille était donc installée à Stromgarde depuis des lustres. De mère en fille et de père en fils depuis maintes générations, les enfants furent formés à servir dans les armées de la reine de Stromgarde, pour patrouiller dans les collines où l'herbe sèche et coupante, couleur de bronze, haute comme un demi-gnome (coupé dans le sens de la longueur), cache encore aujourd'hui des hordes de trolls sauvages. Et quand je dis sauvages... Non contents d'être cruels, peureux, fourbes et velus, on a trouvé parmi eux des mystiques et des végétariens...
C'est donc à ce brillant avenir de rapines officiellement rebaptisées service de la reine que je me destinais, petite fille au bras plus vif que la cervelle. A l'école royale de Stromgarde, dans le quartier militaire, je ferrouillais avec des mannequins de mousse et de bois, très fière qu'ils échouent (parfois) à parer mes coups de taille et d'estoc. J'étais également très fière de mes connaissances en arithmétique et en sciences, bien que je fûs la seule à partager cette fierté. Pourtant, je m'en vantais beaucoup. C'était un temps heureux...
Avec une bande de copines et de copains, on faisait même des excursions en dehors de la ville - pas loin cependant depuis qu'on avait été interrogées des heures au sujet d'un jeune gnome curieux du quartier des immigrés que l'on avait malencontreusement cassé. Heureusement, les adultes sont naïfs. Ils finirent par croire que notre jouet s'était égaré et avait subi le magnanime sort d'être piqué, paralysé et grignoté par une des araignées géantes de la vallée. C'est de ce jour que j'ai appris l'utilité d'un bon bouc émissaire.
Ceux que je trouve aujourd'hui n'ont, malheureusement pour vous, pas de soie d'un beau gris perle sur leurs quatre ? huit ? enfin sur leurs nombreuses pattes.
Je m'amusais donc tout en apprenant l'art du combat, tandis que ma mère, en tant que forgeronne royale, passait des heures à marteler le fer incandescent avec un immense marteau que peu d'hommes dans la ville parvenaient à soulever. Aucun ne s'y serait risqué, au demeurant, du moins pas avant qu'une quatraine* d'années bien comptées se soient écoulées après l'annonce du décès de ma maman. Un peu possessive, ma maman.
(* quatraine = plusieurs, voire beaucoup).
Quant à mon père... Eh bien mon père...
Ses origines étaient plus modestes. Lui aussi était soldat de la reine, officier même que, pour raisons héréditaires, son grand oncle étant tombé raid-comateux après une orgie de bière, en plein pendant son service, et précisemment en travers du chemin de la Reine qui avait trébuché et s'était écroulée sur lui. Le grand oncle était un veinard : à l'instant même, des trolls en embuscade jaillirent des rochers alentours. L'air fut déchiré des sifflements perçants des haches tranchantes des archers trolls. Un immense gaillard muni d'une masse ensanglantée chargeait la petite troupe. Enfin, une embuscade du plus bel effet.
Qui échoua lamentablement.
On convint cependant que la reine, si elle n'avait été à terre, la jambe coincée sous un corps pesant, en train de le gifler et le griffer à toute volée - de manière très rationnelle, juste ce qu'il fallait pour l'aider à se redresser - eût pu être grièvement blessée par une hache. On reporta donc l'évanouissement du sergent sur le compte d'un coup reçu, et sa chute lamentable se muât en réflexe héroïque. Il fut promu officier, avec une chaire transmissible à ses héritiers.
Ma famille regorge de tels héros.
Mon père, son petit-neveu, n'était pas de la même trempe. Il était pire.
Maître cannonier de la reine, il fût muté à sa 137ème victime (dans les rangs des troupes se Stromgarde), et on l'affectât au poste de « grand surveillant du respect du couvre-feu aux alentours des entrepôts de stockage des munitions d’artillerie de secours ». Il n'y causait pas grand tort.
Ca ne l'occupait pas beaucoup non plus. Rien n'est parfait, dans la vie... Souvent désoeuvré, il traînait entre la taverne et la forge où il horripilait ma mère Jenna en lui posant milles questions tandis qu'elle battait l'acier.
C'est quand j'eûs douze ans que survînt l'incident.
Ma mère travaillait alors sur une commande énorme du commandant de Stromgarde. Des centaines de côtes de mailles en anneaux de mithril, renforcé par des ajouts d'argent blanchi sur les épaules et les hanches. Le lourd bruit de son imposant marteau faisait trembler la ville depuis des semaines...
Elle était donc d'humeur irascible, et personne n'osait trop l'approcher, sauf... Sauf son mari, fouré 12h par jour à la forge, qui la distrayait sans cesse de rêveries sur la fatuité de l'ambition et le dynamisme du marché des crevettes. Sujets, admettons le, quelque peu soporifiques. Sans cesse distraite par ce mari certes affectueux mais parfois encombrant, d'autant que sa maladresse n'est plus à prouver, ma pauvre maman fulminait en silence, quand je revîns triomphante d'un cours de tactique militaire. Je saluais chaleureusement l'auteure de mes jours, et lui demandais si je pouvais lui apporter une quelconque aide.
Et voilà que ma mère, d'un ton courroucé, désigne son complice dans l'élaboration de mes jours** et me demande de l’en débarrasser.
(** le co-auteur de mes jours, si vous préférez. Enfin, l'officiel.)
Je rappelle que mon éducation fût faite de jeux d’armes et de rudiments d’alphabétisation. Les subtilités de la rhétorique me laissaient pour le moins perplexe.
Je compris donc au sens premier l'ordre de ma Jenna, et je frappais mon père d'un coup d'estoc donc, en dépit de ses conséquences facheuses, je ne puis m'empêcher d'être encore aujourd'hui fiérote : Rendez vous compte, je n'avais que douze ans !
Bon, mon père ne m'en a pas félicitée. En fait, il ne m'a plus jamais félicitée pour quoi que ce soit. On l'a mis en terre le lendemain matin.
Ma mère m'a de ce jour surnommée "Brutépaisse". Elle allât même jusqu'à bouder, ce dont je fûs fort marrie. Tout ça pour un époux...
Je me disais : d'accord, j'avais fait une bétise, mais je ne l'avais pas faite délibéremment, et puis elle avait aussi sa part de responsabilité ! Enfin, heureusement, au bout de quinze jours, lasse de faire la tête, elle épousât son amant, un cuisinier très érudit, et nous nous réconciliâmes. Il était sympa d'ailleurs son amant. Toujours un peu nerveux en ma présence (le complexe du beau père ?) mais très gentil.
Quant à mon surnom, Brutépaisse... Mon vrai nom comportant 64 lettres dont neuf "a", je m'en suis jusqu'à ce jour fort bien accomodée.
Vous connaissez donc désormais la genèse de celui-ci. Je vous raconterai peut-être la suite plus tard...